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Université Autogérée
Université Autogérée
14 mai 2010

L'individu collectif

Bruegel
"Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous deux dans le fossé" (Matthieu, XV, 14)

  Le Philosophe qui veut traiter une question, étudie ceux qui l’ont traitée avant lui, travaille, élabore une argumentation rigoureuse. Et l’énonce avec la force de la conviction. Puis écoute les contre-arguments.


Or plusieurs éléments peuvent mettre la raison  en défaut : les pulsions, l’affect, et la richesse des évènements, de l’Histoire, surtout celle en train de se faire.


· L’affect est un moteur important de l’activité humaine individuelle et collective. La raison s’en accommode tant bien que mal qui souvent, vient bâtir une justification pour des décisions déjà prises dans l’inconscient.

En 1993 l’historien Pierre Laborie, a mis en lumière que le comportement de la population parisienne pendant l’occupation a basculé en voyant des milliers de jeunes enfants déportés dans des wagons à bestiaux où à l’évidence ils allaient mourir. A partir de cet évènement, à Paris, l’opinion a cessé d’aimer Pétain et sa morale. Dès lors, des milliers de juifs ont été soustraits à la déportation. L’affect collectif a amené de nombreux individus à se lier en réseaux et risquer leur vie.

L’intelligence met en œuvre des raisonnements et des émotions.

Certes, il y a des philosophes, des mathématiciens … et des artistes. Mais ces deux activités font l’une et l’autre appel tant aux émotions qu’à la raison. L’intuition du mathématicien qui étudie un nouvel objet mathématique fait tant appel à l’expérience qu’à l’ivresse d’une élégante démonstration rigoureuse en cours de création.

La création artistique nécessite la maîtrise parfaite de techniques.


Se faire comprendre et comprendre un autre, signifie deviner l’opinion que l’autre cherche à transmettre. Cela se joue simultanément sur ces deux registres : affect  / raisonnement et confrontation de points de vue.

C’est la raison qui permet la rigueur et amène à reconnaître et corriger ses erreurs


A l’extrême, celui qui refuse la discussion se place dans le pire affect : le mépris aristocratique hautain.


La libre-pensée n’est pas un droit pour chacun de penser et dire n’importe quoi : la raison peut, en effet user du mensonge pour tromper autrui et conduire à des actes préjudiciables.


La raison peut aussi utiliser l’affect comme levier de manipulation. Les tribuns font métier d’utiliser les intonations de leur voix (celle-ci a plus d’effet de conviction que le propos énoncé), gestes et postures, la façon d’organiser un congrès, un meeting, les sentiments et symboles collectifs, pour obtenir l’adhésion à des points de vue que la raison devrait refuser.

Nombre d’élections ont porté aux commandes la figure du mâle dominant, contre toute raison. (La dernière élection présidentielle est typique de telle erreur de casting).


Au sein d’institutions de toutes sortes, traditionnellement tenues par des hommes, prévalent aux niveaux dirigeants des rapports de concurrence brutale qui imposent aux femmes qui voudraient y jouer un rôle, de singer les hommes. Les affects en jeu sont principalement ceux qui concourent à sélectionner le  mâle dominant qui imposera sa loi au troupeau. Il n’y a pas là de perversion individuelle : il en est ainsi depuis des siècles !

Et c’est à mon avis le facteur principal d’élimination des femmes des sphères dirigeantes de toutes sortes.

Remarquons que congrès et Conseils d’administration se déroulent sous toutes les apparences de la rigueur, avec arguments et contre-arguments sur des enjeux programmatiques.

Alors, intellectuels de raison pure ?


· Tous ceux qui sont unis par la volonté de s’impliquer dans notre temps, et par le refus de pure rhétorique détachée de tout réel, s’accordent à affirmer le primat de la praxis, pour une pensée tournée vers l’action.

Or l’Histoire, les évènements sont extraordinairement riches et ne peuvent être perçus par tous de façon simple et univoque. De plus, l’appréciation de ce que doit être notre intervention et ses priorités, diffère d’une personne à l’autre.

Il en résulte que, tout en étant d’accord sur le fait que toutes les idées ne se valent pas, le raisonnement le plus rigoureusement bâti ne peut s’imposer par la seule vertu de sa rigueur. Car celle-ci ne peut pas épuiser la discussion sur la seule question qui vaille : Quelle est la situation et que faire ?


Une pensée de qualité égale mais différente, peut émerger et avoir de la difficulté à s’énoncer parce qu’elle prend en compte des aspects nouveaux de la société encore mal constitués, ou parce qu’elle veut s’inscrire dans une dynamique d’action différente, apprécie les priorités d’action différemment. Ce sont des démarches qui méritent respect mutuel.


Qu’en conclure ?

- La nécessité de la modestie qui craint de passer à côté d’aspect nouveaux de la vie et sans renoncer à la nécessaire rigueur de pensée, sans  censurer sa critique, se met à l’écoute d’une pensée qui s’élabore.

La pensée n’est pas le ressassement de questions closes parce que quelqu’un est réputé en avoir fait le tour!


- La nécessité de clarifier sur chaque question débattue non seulement les citations de travaux théoriques antérieurs, mais aussi quel est, sur la question traitée, le rapport à la praxis de celui qui s’exprime. Quelle réalité celui-ci a-t-il appréhendée et comment. (participation personnelle ? interview de personnes ayant quelle implication ? résultats d’enquête identifiée qui explicite sa méthode…)

  • Autre volet restant à développer : celui du rapport de forces.

En effet en démocratie ceux qui ont le pouvoir ne cessent de vouloir l’asseoir toujours plus, et donc ne cessent de faire régresser les contre-pouvoirs. L’actuel Président est extrêmement imaginatif, actif sur ce point, et nous fait payer les salaires d’une clique de conseillers en manipulation de l’opinion..

Ceux qui subissent ce pouvoir n’ont, au quotidien, qu’un choix :

- perdre toujours plus de liberté et de moyens de vie.

- ou combattre, reconquérir les libertés individuelles et collectives, les exercer sous des formes renouvelées.

Tout est affaire de rapport de forces.

Aussi, la nécessité de l’action collective dans la durée est incontournable.


Aujourd’hui prévalent des comportements résolument individuels, extrêmement méfiants vis-à-vis de tout collectif, assimilé à embrigadement et prosélytisme. Séquelle du « centralisme démocratique » perverti qui a sévi sur le XX° siècle*.


Indéniablement, la pensée émane de chaque individu. Elle est inévitablement partielle et fragile. Sa traduction dans sa finalité, l’action, ne peut se faire qu’en association, sur la base d’un accord qui nécessite de penser ensemble. La confrontation se poursuit alors enrichie par l’action commune.


L’enthousiasme de l’action commune vers une société libérée de l’exploitation et de l’aliénation, libère des carcans idéologiques habituels, sublime chaque individu, sublime le collectif qui devient incroyablement inventif et intelligent, adopte spontanément un mode relationnel nouveau.

Et dépasse la séparation artificielle, paralysante opérée depuis bientôt un siècle, entre lutte quotidienne et transformation de la société. Particulièrement la séparation obsolète syndicat-parti qui ne peut que contribuer à la préservation du système.


De nouveaux types de mouvements apparaissent heureusement, dont le premier remarquable fut ATTAC, jusqu’à ce que la soif de pouvoir qui s’est déclenchée dans son échelon national déçoive de nombreux espoirs. La lutte contre le CPE fut remarquable par son ampleur et par la multitude d’initiatives prises par groupes d’étudiants et de lycéens en marge des cortèges syndicaux de style classique. Resf est un réseau qui réussit à préserver dans la durée, la liberté d’action des groupes locaux qui s’agrègent pour combattre une expulsion révoltante. D’autres mouvements de type nouveau apparaissent.


Primat de la pratique ! Il importe de participer à ces mouvements de lutte et de les étudier de l’intérieur. Les débats à l’infini autour de concepts dont le contenu réel pour ceux qui s’en drapent semble parfois incertain, changeront de nature …et d’impact !


Au « centralisme démocratique » qui a encore de vastes persistances, se substitueront des processus ouverts,  associant des multitudes d’actions conduites à l’échelle des participants.

La mise en place forcée du processus de Bologne par les Etats à l’échelle européenne, impose l’idée d’une concurrence généralisée à l’échelle mondiale ! L’illusion que chacun peut être plus excellent que tous les autres, promeut un certain dandysme, empêche magiquement que des collectifs de pensée et d’action se constituent. La course à l’échalote réalise des files d’aveugles qui courent vers le ravin, à l’instar du tableau de Bruegel, La Parabole des aveugles, peint en 1568. La pression des évènements révèlera le dérisoire de ce slogan d’excellence, alors que tout l’enseignement supérieur est contraint avec toute la fonction publique, à la ruine de son professionnalisme.


Oui, il faut impulser des initiatives de résistance. Les refus qui se sont massivement exprimés à l’Université en 2009 ne sont pas gommés par la résignation actuellement visible.


Note :

* Centralisme démocratique

Elément organisationnel fondamental du léninisme-trotskisme importé en 1920 au Congrès de Tours qui a vu naître le PCF.

En théorie, il permet d’impulser réciproquement la créativité de la base et celle du centre.

En théorie, le centralisme démocratique n’est pas seulement une forme organisationnelle. Il était décrit comme intrinsèque du processus de connaissance et d’action du Parti sur la société : le matérialisme dialectique et le matérialisme historique.

Cette trilogie fonde l’infaillibilité du Parti justifie le recours à TOUTES les formes d’action.

Ce processus global se complétait avec la formation de l’Homme Nouveau, l’extinction des classes sociales et de l’Etat.

En théorie, il s’agissait là d’un développement du marxisme et de la Commune de Paris qui devait permettre de maîtriser le processus de prise du pouvoir et d’exercice prolongé du pouvoir prolétarien. Rappelons que pour le marxisme, le prolétariat est la partie de la classe ouvrière animée par la conscience du rôle historique de sa classe.

Mais, au fil du temps le Centre acquiert une position dominante qui, au nom de l’efficacité de l’action et de la sécurité de tous (la répression extérieure pousse à cela), va jusqu’à affirmer la soumission de l’échelon inférieur à l’échelon supérieur, la soumission de la minorité à la majorité, la nécessité du secret sur le débat interne, la vigilance vis-à vis de l’influence idéologique de l’ennemi à l’intérieur du Parti lui-même, jusqu’à interdire les débats horizontaux dénoncés comme fractionnels. Le Parti en vient ainsi à se penser telle une citadelle assiégée. In fine tout ce fonctionnement concourt à assurer le pouvoir absolu du centre qui assure lui-même la pureté idéologique, opère des épurations et assure sa propre reproduction lors de phases d’élections internes. Des parodies de débats et d’élections ne sont qu’habillage de la cooptation des dirigeants.

Ces processus ont été décrits au jour le jour par Philippe Robrieux dans Histoire Intérieure du PCF 1920 - 1972, 2 vol., éd. Fayard.1980.


Des formes perverties de centralisme démocratique ont finalement été adoptées par toutes les formations politiques, par les syndicats, et par le secteur associatif. Ce ne sont que pouvoirs masqué du centre et étouffement de l’initiative, abêtissement de la base. Elles sont de même nature que la démocratie représentative pervertie que subit notre société, avec mandat en blanc et abus de pouvoir que s’attribuent nombre d’élus, sous nos yeux, à nos dépens. Ce sont des rouages du système et de sa survie.


La politique des opprimés et ses organisations sont totalement à réinventer.

 

Michel

Lyon, 3 mai 2010

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